Blanche MALACRIDA

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Mon cher Numa.

Il est de mon devoir de te raconter le séjour que Paulette et moi avons fait à Torno en Italie, petit berceau de la famille Malacrida.

Depuis que nous vous avons quittés, nous sommes allés au Luxembourg où nous n’avons couché qu’une nuit car après accord avec le ministre de France à Luxembourg j’ai limité à une seule personne les visites que je me proposais d’y faire.

De là nous roulâmes jusqu’à Cologne. Nous y sommes demeurés huit jours.

Puis nous avons pris le chemin de la Suisse. À Zurich d’abord puis à Berne, j’ai fait le travail que j’avais à faire. La semence est jetée, la récolte viendra bientôt je l’espère.

De Berne nous avons pris le chemin de l’Italie.

Il nous fallait rentrer à Toulouse pour rejoindre nos enfants.

De Berne à Toulouse par Lyon comptaient autant de kilomètres que la route de Berne à Toulouse par l’Italie. Un écart de 200 kilomètres seulement. Pour 200 kil, il ne fallait pas manquer l’occasion d’un voyage aussi intéressant.

Nous avons donc abordé les hautes montagnes de Suisse. Nous avons arpenté le Grimsel et avons couché dans un petit hôtel construit en bois, à une altitude de 2200 mètres. L’air était pur. Le soir, le froid était vif. Dépourvus de vêtements de laine, nous n’avons pu demeurer dehors. À nos côtés, devant nous, derrière nous, à nos pieds, des monceaux de neige que le soleil d’été ne réussira pas à fondre l’épaisseur. Évidemment, nous avons touché la neige. C’est une satisfaction que de bons marocains ne pouvaient éviter.

Le lendemain notre Renault s’est mise courageusement en route. Il lui fallait escalader le col de la Furka. La route monte jusqu’à 2500 mètres et, pour la première fois depuis qu’elle a été mise au monde, la Renault a dû grimper en première vitesse les pentes très raides de cette montagne. Au sommet du col, le spectacle était impressionnant. Une chaine de montagne blanchie par une neige épaisse que le soleil rendait plus éclatante encore. Le glacier du Rhône attaqué tous les été par le soleil l’été mais toujours vainqueur de son brûlant adversaire. Des routes en zigzags que l’on s’étonnait d’avoir pu monter. Enfin, l’ascension du Saint-Gothard fut la dernière. Le montée est moins dur que celle de la Furka mais la descente est impressionnante. Je n’ai jamais vu de telles routes en colimaçon, vraiment les travaux publics ont fait du beau travail.

Du sommet du Saint-Gothard, la langue Italienne faisait son apparition, nous étions en Suisse Italienne.

En Suisse Italienne, le voyageur s’étonne. Les grandeurs et la beauté de la nature y sont les mêmes, les montagnes perdent leur sommet sous le ciel bleu et semblent inaccessibles. Partout les cascades déferlent leurs flocons bruyants et une impression de fraîcheur pénétre les êtres et les choses. Mais, à part les routes, l’œuvre des hommes est moins belle. Les maisons n’ont plus le caractère des maisons de la Suisse Allemande. Là-bas, un style coquet et travaillé s’efforce de montrer le goût des habitants et leur affection pour une maison à qui ils se plaisent à donner un vêtement de fête. Ici, les maisons italiennes semblent des ouvriers en habits de tous les jours. Elles ne sont que les murs plats et mornes, percés de trous carrés ou l’on a mis les fenêtres. C’est d’ailleurs l’impression que nous donnaient toutes les villes d’Italie, même Milan, même Gênes.

Pendant que nous jugeons les choses, notre Renault atteint Como.

Como est située à l’extrémité du Lac de Cômes. Le lac se divise en deux rameaux. C’est sur celui de droite que se trouve Torno, village ou habite Rina Ruspini.

Nous nous dirigeons vers Torno. De Bologne nous avons écrit à Rina Ruspini pour l’informer de notre passage à Torno. Elle n’a pas répondu. Est-elle absente ? Est-elle indifférente à notre voyage ? Nous l’ignorons.

Nous irons la voir, si l’accueil est froid, nous ferons vite notre salut d’adieux et repartirons coucher à Milan. Si l’accueil est autre que ce que le silence de Rina nous fait supposer, nous aviserons.

Voici la maison de Rina. Torno est un village de villas accrochées aux pentes de la montagne ou les jardins et les habitations sont superposés.

Nous grimpons un sentier mal pavé de 50 mètres. À une jeune fille qui monte vers la même maison je dis : Possiamo andare a la casa del signor Ruspini ?

Cette jeune fille se met à rire cordialement : Spettano a loro ! Ils vous attendent dit-elle. C’est la maison de Rina. La porte est ouverte. Rina dans son jardin est assise dans un fauteuil de paille. Elle nous aperçoit, pousse un cri d’étonnement et nous accueille cordialement. On parle, on jase et nous rentrons dîner avec eux, et la voiture sera mise dans un garage et les bagages partis à l’Albergo del Vapore (Hôtel la Vapeur) ou aussitôt une belle chambre nous est réservée.

Nous sommes demeurés trois jours à Torno. Et c’est ici que Paulette est allée d’étonnement en étonnements, de surprise en surprises. Elle a découvert que la famille Malacrida est l’une des plus importantes de Torno et que ses ancêtres y ont joué un rôle glorieux.

Pendant notre séjour à Torno, nous avons été reçus par M. Emanuele Malacrida, autrefois opticien à Marseille, retiré des affaires et aujourd’hui vivant de ses rentes à Marseille avec sa femme. Mme Malacrida, âgée de 75 ans environ, est une dame charmante. Vêtue d’une flanelle blanche, les doigts parés d’un superbe et gros brillant, le cou orné d’un collier de petites perles, elle est assise sur un fauteuil toute la journée car elle souffre de rhumatismes déformants.

M. Malacrida est un bel homme de 74 ans. Sa tête est couverte d’une belle chevelure blanche bouclée, ses yeux portent les lunettes et sa physionomie laisser percer le fonds de bonté qui enrichit son caractère.

Il est le doyen de la famille Malacrida et il s’en fait gloire.

Tous les ans il vient passer trois ou quatre mois d’été à Torno. Il a le culte des vieux souvenirs et l’histoire de la famille Malacrida est écrite dans son cerveau et dans son cœur.

Notre première visite fut pour les aïeux de la famille qui dorment dans le cimetière. Les tombeaux sont autant de pages qui racontent le passé. Et sur près de cinquante tombeaux est gravé avec cinquante prénoms différents le nom de Malacrida.

Dans un ouvrage écrit sur Torno, ouvrage en Italien que Paulette va t’envoyer, on lit à la page 32 la note suivante : - La famille Malacrida fut depuis les temps les plus reculés d’une très grande importance dans la région de Como et de Torno - La famille Malacrida a joué un rôle important dans les affaires de Tornasco et de Côme depuis l'Antiquité : en 1408, Bartolomeo Malacrida était capitaine des Vitani ; Daniele Malacrida capitaine des Comaschi au XVe siècle ; Biagio Malacrida (1509) était seigneur de Muso ; Giuseppe Malacrida (1588) était marquis de Musso ; Gabrio Malacrida (1594) était marquis de Muso. Cette famille a conservé le droit de sépulture dans cette église pendant plusieurs siècles : en 1778 (14 mars), Giovanni Maggi, veuve de Pietro Malacrida, a stipulé dans son testament qu'elle serait enterrée dans la concession de la famille Malacrida à S. Giovanni (Doc. Caprera-Ruspini).

Cette famille a conservé le droit de sépulture dans l’Église de la paroisse de Torno. (San Giovanni Di Torno e il suo cimitero) - Nous entrons en effet dans l’église St Jean. Sur le mur, nous voyons une pierre tombale portant le blason des Malacrida.

Ce blason représente un château fort, un lion rampant à la partie supérieure, et l’écusson dans la partie inférieure, le tout entouré de feuillage.

Au dessus du blason on lit les mots suivants que je traduis en français : Sépulture du Respectable Seigneur Jean de Malacrida et de ses successeurs.

Cette pierre tombale, en marbre blanc, était à terre, au dessus des corps ensevelis. Le curé de la paroisse, il y a on ne sait combien de temps, ayant constaté que les dessins du blason étaient attaqués par le piétinement des fidèles, décida de remplacer cette pierre de marbre par une pierre de granit sur laquelle on voit une croix et de la placer en bonne place sur le mur intérieur de l’église.

L’inscription qui porte le nom de Jean de Malacrida prouve clairement que pendant de longues années, les membres de la famille Malacridia ont fait précédé leur nom de la particule «de».

Quelques membres de la famille ont joué dans l’histoire un rôle important.

Dans l’église de Mannaggio, que nous n’avons pas eu le temps de visiter, se trouve une grande plaque de marbre portant une longue inscription relatant le supplice du R.P. Malagrida, jésuite, brûlé vif sur la place publique, au Portugal, pour avoir dénoncé les amours adultères de la reine du Portugal, en ces temps anciens. (Confusion de mon arrière grand-père Malagrida/ Malacrida ?).

Aujourd’hui la famille Malacrida est dispersée en familles nombreuses et Paulette a pu faire la connaissance de quatorze cousins germains, hommes et femmes ensembles.

Le podesta de Torno (maire nommé par le gouvernement) est un membre de la famille Malacrida. Rino, ton cousin germain, le frère de ton père, Achille Malacrida, décédé, a été député de Torno à la chambre des députés italienne.

Partout nous avons trouvé un accueil cordial et affectueux.

Te dire le nom des familles serait trop difficile pour moi. En entendant se succéder, sur les lèvres de M. Malacrdia le nom des membres de la famille, je m’y suis perdu, mes méninges ont les mots à l’envers, et je confondais les oncles et les neveux.

Tous ont de bonnes intentions et semblent vivre avec aisance.

Dans l’Albergo del Vapore (l’Hôtel des Vapeurs), Paulette a laissé ses yeux s’émouvoir et se mouiller. C’est là que son père est né. On lui a montré la grande pièce où les enfants Malacrida sont nés, une belle chambre à proximité de laquelle se trouve la chambre des enfants. La maison bâtie sur les bords du lac dont les eaux caressent le mur de la terrasse implantée de châtaigniers est grande. De grandes pièces, et en particulier un grand salon au 1er étage, ont été partagées par des cloisons et l’ensemble a été transformé en hôtel pour voyageurs et touristes.

Non loin de là nous avons visité la maison qui est le berceau des Malacrida.

C’est la que demeure M. Malacrida, frère de ce Monsieur qui nous pilote chaque jour. La voûte du salon est particulièrement intéressante. Elle est formée comme une sorte de parapluie ouvert dont les baleines sont des arêtes en pierre.

Au départ central des arêtes, se trouve une pierre avec un dessin.

J’ai pris diverses photographies de Torno et de l’entrée de cette maison qui a vu grandir tes aïeux. Nous te les enverrons la semaine prochaine depuis Toulouse.

Nous avons couché à Menton d’où je t’écris et nous serons à Toulouse demain soir. Mes doigts commencent à se mettre en colère contre mon porteplume. Pour qu’il n’y ait pas bataille entre eux, je m’arrête en vous embrassant tous les trois bien affectueusement.

Mais non j’ai oublié une chose !

Évidemment on a parlé de toi, de Suzanne. Je n’insiste pas là-dessus mais dimanche nous avions résolu d’aller en promenade jusqu’à Menaggio où se trouve l’inscription de Révérend Père Malagrida. En cours de route nous avons changé notre itinéraire.

Rina et son mari étaient avec nous. Et nous avons décidé d’aller faire une visite à ta tante Madeleine, soeur de ton père. Elle habite Regnano à environ soixante kilomètres. Arrivés chez elle, elle n’était pas là. Mais sa fille, ta cousine germaine, nous a reçus avec la plus grande affection. Son mari et elle ont aussitôt mis le couvert. Nous avons déjeuné avec eux.

Après déjeuner, le mari qui s’occupe de messageries a dû aller à Milan.

La cousine est montée avec nous dans la voiture et nous sommes allés à trente kilomètres de là, à la campagne, où la tante Madeleine est allée passer quelques jours.

Arrivés à la ferme que 20 familles travaillent en location nous avons vu ta tante.

Elle était assise sur une chaise, sous les arceaux du grand immeuble, espèce de vieux château quelconque ayant un corps principal et deux ailes. Elle lisait son livre de prières.

Rina et nous sommes allés vers elle. Elle est venue vers nous. C’est une vieille personne de 73 ans, au visage agréable et bon. Elle a été heureuse de revoir Rina.

Rina fait la présentation : - Ces sont les cousines et l’a embrassée -. Puis Rina lui présentant Paulette lui a dit : « Regardez-là bien, la tante a regardé Paulette et, sans qu’on ne lui ait rien dit d’autre s’est écriée : - Paoletta ! - L’intuition lui voit découvert sur le visage de Paulette les traits de la famille les Malacrida et la nièce était bien devant elle. Tu penses les embrassades qui se sont suivies. Si tu devines l’objet de la conversation : Ton père, Numa, Suzanne.

Nous sommes restés un grand moment. On a bu de la bière.

Puis il a fallu partir. On s’est embrassé tous. Et nous avons repris le chemin de Torno.

Maintenant je m’arrête. Mes doigts prétendent que j’oublie que c’est la période des vacances.

Aussi : baisers affectueux à vous trois et à bientôt le plaisir de vous lire.

Je crois que tu vas être charmé, je suis resté huit jours dans l’étonnement et la foie car ce sont des agréables découvertes. Naturellement toute la famille vous embrasse à tous les trois. Nous avons beaucoup parlé de toi et de Pedita. Baisers affectueux à tous les trois.

As-tu reçu l’argent pour la fourrure ?

Lettre écrite par mon arrière grand-père maternel Monsieur Édouard Michel Alphonse SARRAT, époux de Blanche Malacrida, mon arrière grand-mère maternelle. Vers 1960.

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